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Interview de Marc Khanne – réalisateur d’un film sur les EHS

Sommes-nous insensibles aux électrohypersensibles ?

  • Virginie Félix
  • Publié le 17/01/2015.

Près de 2000 personnes en France seraient malades des ondes.

Un sujet rarement pris au sérieux, regrette Marc Khanne, dans un documentaire diffusé sur Public Sénat.

Pour eux, portable rime avec insupportable, wifi et antennes relais sont synonymes de souffrances physiques et de vie quotidienne impossible. Pendant trois ans, le réalisateur Marc Khanne s’est attaché à la situation ubuesque et méconnue des électrohypersensibles (EHS), ces malades des ondes qui en viennent parfois à abandonner maison, travail, famille pour se réfugier en pleine forêt loin des champs électromagnétiques. Son film, Cherche zone blanche désespérément, diffusé samedi 17 janvier sur Public Sénat, attire salutairement l’attention sur ceux qui s’estiment victimes d’une nouvelle forme de pollution invisible et déplorent de ne pas être pris au sérieux.

Qu’est ce qui vous a amené à vous intéresser au problème des personnes électrohypersensibles ?
Je voulais comprendre pourquoi actuellement en France, entre 1000 et 2000 personnes ne peuvent plus vivre dans la société parce qu’elles sont devenues hypersensibles aux ondes électromagnétiques et qu’elles ressentent toutes sortes de symptômes physiques en présence de téléphones portables ou de systèmes de communication sans fil.

J’ai été alerté par une de mes amies qui est tombée malade. Elle ne pouvait plus sortir de chez elle, l’exposition aux ondes la mettait dans un état de grande fatigue. Même son mari, médecin, ne pouvait rien faire pour elle. Cela m’a troublé, j’ai commencé à m’intéresser à la question, à enquêter et je me suis rendu compte que mon amie était loin d’être la seule dans son cas.

J’ai lancé un appel à témoignage sur Internet, en trois jours, j’ai reçu une trentaine de réponses. Mon amie m’a également mis en relation avec d’autres personnes dans la même situation qu’elle, avec lesquelles elle était en contact. Comme elle ne pouvait pas approcher l’ordinateur et envoyer des mails elle-même, c’était son mari qui faisait l’interface, qui lui lisait les courriers et postait les réponses !

Bande annonce du documentaire Cherche zone blanche désespérément, sur Public Sénat à partir du 17 janvier.

A quelles difficultés avez-vous été confronté en vous emparant de ce sujet, technique et méconnu ?
Face au problème des électrohypersensibles, il y a une incrédulité très forte, que j’ai pu constater dès le début de mon enquête. A part les personnes qui sont touchées, qui en ressentent les symptômes, c’est un sujet qu’on ignore ou dont on se désintéresse. Quand elles évoquent leur souffrance, leurs symptômes (maux de têtes violents, insomnies, immense fatigue…), ces personnes ne sont pas crues. Même leur propre famille, le plus souvent, ne les prend pas au sérieux.

D’emblée, j’ai vu aussi qu’il existait une énorme controverse scientifique sur la question des ondes électromagnétiques, leurs effets, leurs dangers, avec des suspicions de part et d’autre. Il faut dire que la technologie du mobile, et toutes les technologies liées aux ondes électromagnétiques, représentent un énorme moteur économique. Entre ceux qui font des études indépendantes et ceux qui font des études officielles, – souvent payées par les lobbies – les conclusions ne sont pas les mêmes.…

C’est un sujet extrêmement technique. Moi, je suis documentariste, pas journaliste d’investigation. Je ne suis pas Elise Lucet, Cash investigation, je n’ai pas cette force là, je travaille tout seul. J’ai donc préféré m’appuyer sur ce qui me semblait le plus à ma portée, l’humain, les personnes qui souffraient. Je me suis dit que la force de leurs témoignages pourrait déjà constituer une forme de preuve que ces gens là ne sont pas des fous. Parmi les personnes que j’ai rencontrées, certaines sont d’ailleurs très diplômées, très qualifiées. Il me semble qu’il y a dans leurs propos une certaine cohérence, des preuves que ce dont ils souffrent n’est pas une vue de l’esprit, comme on le prétend.

Votre film a-t-il eu du mal à voir le jour ?
D’abord, ça a été compliqué de trouver un producteur, de convaincre mes proches que le sujet était digne d’intérêt… J’ai contacté plusieurs boîtes de production à Paris qui n’ont pas donné suite. J’ai fini par obtenir le soutien de Vosges Télévision, une petite société qui avait déjà produit un de mes films sur le reboisement en Ardèche. Mais ça a été quatre ans de quasi-bénévolat.

Ensuite, j’ai eu du mal à recueillir le témoignage de scientifiques. La plupart de ceux qui ont accepté de me parler et de m’éclairer sur le sujet m’ont fait jurer dès le départ de ne pas les enregistrer, de ne pas les photographier, de ne jamais citer leur nom. Pour eux, le sujet est très sensible… S’ils commencent à dire que les ondes électromagnétiques peuvent avoir des effets sur la santé, leur labo risque d’en souffrir, leurs crédits ne pas être reconduits pour l’année suivante. J’ai été étonné d’entendre des chercheurs me prévenir : « Je vais vous dire ce que j’ai à vous dire, parce que c’est mon devoir, mais surtout, vous ne me citez pas, je n’existe pas ! »

Votre point de vue sur le sujet a-t-il évolué au fil de l’enquête ?
Il s’est conforté. Certaines situations vécues par ces gens là sont assez terribles, comme cette femme qui doit dormir dans le coffre de sa voiture, ou cette autre qui a trouvé refuge dans une grotte. Même si les EHS ne sont pour l’instant que 1000 à 2000 en France, je trouve qu’on devrait essayer de les prendre en considération. Ce sont des gens qui sont de fait exclus de la société. Y compris des enfants, comme le petit Ethan qui témoigne dans le film, qui ne peuvent plus aller à l’école et qui n’ont plus les capacités de mémorisation pour conduire leur apprentissage.

Même si ça ne touche que 1000 ou 2000 personnes, pourquoi ne trouverait-on pas des solutions ? Pourquoi tient-on absolument à généraliser les ondes sur l’ensemble du territoire ? Pourquoi ne laisse-t-on pas des espaces un peu préservés, pour ces gens là mais aussi pour la nature ? Et puis, il y a le doute que le nombre des EHS puisse augmenter dans les prochaines années…

Vous expliquez, à la fin du film, que vous avez débranché le wifi chez vous et renoncé au téléphone domestique sans fil. Même si vous n’êtes pas électrohypersensible, vous préférez vous protéger ?
Oui, je le fais parce que j’ai des enfants. Et parce que j’ai pris conscience que si je pouvais baisser, au moins à la maison, le niveau d’ondes, c’était peut-être mieux pour la santé, si j’en crois les scientifiques que j’ai rencontré. J’applique le principe de précaution : le portable, je continue à m’en servir à petite dose. Je l’allume quand j’attends un appel, sinon je sais que j’ai un répondeur où l’on peut me joindre. J’en fais un usage raisonné : par exemple, quand je suis dans les transports, en voiture, en train, là où il émet beaucoup plus fort, je l’éteins.

Quand on entend dans votre film le lanceur d’alerte Pierre Le Ruz expliquer que la technologie du téléphone portable est voisine de celle du radar militaire dont les effets délétères ont été démontrés scientifiquement depuis cinquante ans, il y a de quoi s’inquiéter…
Oui, quoi faire une fois qu’on commence à se dire que ces ondes peuvent avoir des effets délétères sur notre santé ? C’est assez troublant de penser que si on est vraiment en face d’une technologie délétère, rien ne semble pouvoir arrêter son avancée. Aujourd’hui, on parle de domotique, de maison connectée, d’objets connectés, le sans fil est partout. On est face à une espèce de vertige. Je ne sais pas si on va vers un scandale sanitaire comme le prédisent certains chercheurs indépendants. Mais en tout cas, avec ce film, j’espère déjà faire prendre conscience qu’il y a des gens qui ne peuvent plus vivre avec ça. Alors, est-ce qu’on les passe par pertes et profits, ou est-ce qu’on essaie de faire quelque chose pour eux ?

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