Stockholm, correspondance particulière

Voici les téléphones portables de nouveau sur la sellette. Leurs micro-ondes peuvent ouvrir la «barrière sang-cerveau» qui normalement bloque l’entrée de substances nuisibles dans le cerveau en provenance du sang (1). Selon une équipe de chercheurs de l’université de Lund (2), chez des rats exposés à des micro-ondes d’une fréquence et d’une puissance correspondant au rayonnement des téléphones mobiles (3), la protéine albumine est ainsi passée du sang dans le cerveau. Un effet déjà observable après seulement deux minutes d’exposition au rayonnement. L’albumine, qui existe de façon normale dans le sang, peut en revanche être nuisible au cerveau. C’est en «marquant» cette albumine à l’aide d’anticorps colorés que les chercheurs suédois ont pu découvrir sa présence. Une technique qualitative qui ne leur a pas, pour l’instant, permis de mesurer la quantité exacte de protéine.

Trop tôt.«Avec cette technique, nous pouvons observer de très faibles quantités de protéine dans le cerveau et nous ne savons pas encore à quel point cela peut être dangereux», explique le professeur Leif Salford, neurochirurgien à l’hôpital universitaire de Lund (Suède), spécialiste du traitement des tumeurs cérébrales. «Mais d’autres expériences, dans lesquelles de l’albumine a été injectée dans le cerveau de rats, ont montré que de très faibles doses, éventuellement légèrement plus élevées que celles que nous avons observées, peuvent provoquer la mort de neurones dans le cerveau.» Il est trop tôt aussi pour affirmer que les observations sur les rats peuvent être transposées aux humains. Cependant, Leif Salford ainsi que ses collègues, le neuropathologiste Arne Brun, spécialiste de la maladie d’Alzheimer, et le physicien Bertil Persson, spécialiste en résonance magnétique nucléaire, considèrent que leurs résultats doivent être pris très au sérieux. La barrière entre le sang et le cerveau fonctionne en effet de manière similaire chez les rats et les humains. De plus, si l’albumine, protéine plutôt grosse, peut entrer dans le cerveau, pourquoi pas d’autres molécules, de même taille ou plus petites? Il est cependant possible que la forme «linéaire» de l’albumine facilite son passage par rapport à d’autres molécules de même taille, d’une forme plus sphérique, par exemple.

Ce qui fait prendre cette étude très au sérieux est le fait que des protéines du sang peuvent, dans le cerveau, provoquer des maladies auto-immunes (le corps s’agresse lui-même) telle la sclérose multiple. Des neurones endommagés peuvent provoquer la maladie de Parkinson. Les protéines provoquent aussi des inflammations des neurones, de telles inflammations pouvant avoir un lien avec la maladie d’Alzheimer. Autre inquiétude, la traversée de la barrière sang-cerveau par des médicaments indésirables. Ainsi, le fameux «syndrome de la guerre du Golfe», présenté par plusieurs soldats américains, pourrait être dû à l’entrée d’un médicament pris en prévention d’éventuelles armes chimiques. L’environnement de micro-ondes autour des soldats peut-il être mis en cause? Une première étude vient de commencer, collaboration entre les chercheurs suédois et des chercheurs américains de la base militaire de San Antonio au Texas. Un fait très frappant est que des micro-ondes de très faible puissance auraient un effet sur le cerveau. La limite recommandée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) est de deux watts absorbés par kilogramme pour les zones les plus sensibles du corps. Selon Leif Salford et ses collègues, «des millièmes ou dix millièmes de watts» seulement ont permis l’entrée d’albumine dans le cerveau chez «50% des rats étudiés». Autrement dit, le rayonnement ambiant émis par les relais pourrait déjà avoir un effet. Comme de se trouver près de quelqu’un en train de téléphoner. Quant au head-set (casque conçu pour éloigner le téléphone du cerveau), il n’éliminerait pas non plus tous les risques. Des puissances plus élevées semblent, en revanche, avoir moins d’influence. Des «dixièmes de watts n’ont influencé qu’environ un tiers des rats».

Des études. Un résultat difficile à expliquer par la théorie: pourquoi un rayonnement plus faible aurait-il plus d’effet qu’un plus fort? Une hypothèse des Suédois est qu’un signal de faible puissance mime certains signaux électriques utilisés par le corps, en l’occurrence un signal qui ferait momentanément s’ouvrir les couches très serrées de cellules qui entourent les capillaires sanguins du cerveau. Pour de plus grandes puissances, le corps, en revanche, mettrait en marche un système de protection. La limite recommandée par l’OMS tient seulement compte des effets thermiques des rayonnements. «Le système des signaux électriques utilisés par le corps peut être influencé de manière différente, mais le mécanisme reste à expliquer», fait remarquer Leif Salford. Des études sur les effets à long terme sont maintenant lancées: les cerveaux des rats vont être analysés huit semaines après l’exposition aux micro-ondes, afin de déterminer si l’entrée de l’albumine a provoqué la mort de certains neurones.

(1) Entrent oxygène et substances nutritives mais pas protéines ou substances toxiques.

(2) Résultats présentés le 17 août à Toronto, Conférence de l’union radioscientifique internationale. (3) Fréquences 900 MHz et 1800 MHz.

Ulrika FONJALLAZ BJORKSTEN

Journal « LIBERATION »